A Brooklyn, un atelier de confection métamorphosé par sa clientèle LGBT - Mode

Mode

A Brooklyn, un atelier de confection métamorphosé par sa clientèle LGBT

Daniel Friedman se voyait architecte, il crée finalement des costumes. Il ciblait les hommes d'affaires mais sa clientèle est aujourd'hui essentiellement gay. En plein boom, son atelier de Brooklyn est l'histoire d'une improbable métamorphose.

E-llico.com / Actus

A Brooklyn, un atelier de confection métamorphosé par sa clientèle LGBT
Mode

Mis en ligne le 24/10/2016

Tags

Rien ne prédisposait cet Américano-Canadien de 37 ans (à gauche sur la photo), ni gay ni transgenre, à travailler dans la confection. C'est un saturnisme tardif, apparemment dû à la peinture de vieux volets qu'il utilisait pour décorer sa chambre à l'université, qui l'oblige un jour à renoncer à ses rêves d'architecture: en quelques mois, ce petit homme plein d'énergie se retrouve incapable de lire ou écrire.

Parce qu'il aime les costumes et le design, il décide en 2011 d'ouvrir un atelier, Bindle & Keep. Les mesures, les patrons et les ajustements sont conçus sur place à New York, la fabrication a lieu dans un petit atelier près de Bangkok, et la clientèle visée est celle des financiers de Wall Street.

"Quand je faisais mon business plan, je pensais que c'était eux qui avaient besoin de costumes. Ils avaient l'argent pour et ils étaient toujours en quête d'un nouveau tailleur", se souvient-il. Mais fin 2012, il embauche un apprenti transsexuel, Rae Tutera. Qui parle de l'atelier sur son blog lu dans la communauté gay et trans. Et les premières femmes qui s'habillent en homme et personnes transgenres commencent à frapper à sa porte.

"Au début on ne savait pas trop comment s'y prendre", reconnaît Daniel Friedman. Très vite, alors que le mariage gay n'est pas encore légalisé aux Etats-Unis - il le sera en juin 2015 - et qu'on parle encore peu des personnes transgenres, il sent que faire preuve de sensibilité avec ce public sera un facteur-clé de succès pour son entreprise.

"On fait comme tous les ateliers de confection: on prend les mesures corporelles et on taille le costume. La différence, c'est qu'au lieu de demander au client, 'Quel style voudriez-vous?', on demande, 'Comment aimeriez-vous vous sentir?'" "Il y a un élément de thérapie là-dedans, un élément psychologique que nous intégrons dans la fabrication du costume, sur lequel de nombreuses sociétés font l'impasse", dit Daniel Friedman. "Beaucoup de gens luttent avec leur corps, sont mal à l'aise dans leurs vêtements (...) 50% de notre travail est probablement de l'empathie".

En novembre 2013, sa nouvelle clientèle attire l'attention du New York Times. "Le jour où l'article est sorti, j'ai ouvert ma boîte mail et j'avais 300 messages venus du monde entier", raconte Daniel Friedman.

Parmi eux, le message d'une mère parisienne. "Elle disait soupçonner que son enfant veuille changer d'identité sexuelle et nous remerciait d'exister, car, grâce à nous, elle pensait que ça pourrait bien se passer... C'est là que j'ai compris que ce n'était pas juste du business, qu'on avait vraiment touché une corde (...), que ce qu'on faisait était vraiment important", dit l'entrepreneur.

Ashley Merriman, une cliente, confirme. Cette chef d'un restaurant prisé de Manhattan a découvert l'atelier cet été en cherchant un costume pour son mariage avec une autre chef. "Ça fait plus de 20 ans que je m'habille en homme", explique cette femme de 40 ans. "J'avais entendu parler de cet atelier mais je n'étais jamais allée plus loin. Jusqu'au jour où j'ai décidé de me marier et où j'ai commencé à redouter ce que j'allais porter".

Elle pousse alors la discrète porte de Bindle & Keep, dans un quartier d'entrepôts de Brooklyn, et trouve "l'expérience formidable de A à Z". Non seulement parce que cette femme de 1,80 mètre a enfin, explique-t-elle, "des vêtements qui vont parfaitement" et la mettent "beaucoup plus en confiance". Mais aussi à cause de la "générosité" et de la "sensibilité" de Daniel, dit-elle, qui pose des questions intimes importantes pour l'ajustement du costume - par exemple: se comprime-t-elle la poitrine ? - alors même qu'il "n'appartient pas" à la communauté gay et trans.

L'avis semble partagé: l'atelier compte aujourd'hui des milliers de clients, dont des centaines vivent loin - Australie, Californie, Europe, Japon... - et viennent y commander un costume lorsqu'ils sont de passage à New York.

Après avoir longtemps vivoté, Daniel Friedman réalise désormais plus d'un million de dollars de chiffre d'affaires annuel, avec des costumes sur mesure vendus à partir de 800 dollars pièce. Il emploie sept personnes et s'apprête à ouvrir une adresse à Los Angeles, en attendant peut-être Chicago et le Canada.

Il dit avoir retrouvé sa joie de vivre et rêve de voir d'autres entreprises suivre sa voie: "Nous sommes la preuve qu'on n'a pas besoin d'être membre d'une communauté pour la servir. Si d'autres sociétés dans d'autres secteurs regardent ce qu'on fait, elles verront que c'est payant, et que ce n'est pas si fou ni si difficile !"

(Source AFP)

Retrouvez les archives d'Illico / E-llico.com.

Plus 40.000 articles de la rédaction retraçant la vie de la communauté LGBT dans les domaines politique, sociétal, culturel et sanitaire de 2001 à 2022.

Tapez un mot-clé exprimant votre recherche dans le moteur de recherche ci-dessus.