Cinéma
«Naissance des pieuvres»
Drôle de titre que « Naissance des pieuvres » (sorti le 15 août), derrière lequel se cache un petit bijou de sensibilité, un premier film signé Céline Sciamma dont l’adolescence et ses tourments est le centre et où l’homosexualité tient une place de choix.« Pour moi, l’homosexualité ce n’est pas un sujet, c’est un trajet » dit joliment Céline Sciamma lorsqu’elle évoque la manière dont «Naissance des pieuvres», son premier film, fait une place non négligeable à ce désir parmi tous ceux qui agitent ses trois héroïnes. Car c’est bien à une histoire de désirs multiples que l’on assiste ici, Anne, Floriane et Marie dealant chacune tant bien que mal avec ce qu’elle est et ce qu’elle ressent. Un surplus de poids et un romantisme échevelé pour la première, une réputation de sex-symbol lourde à porter pour la seconde, un lesbianisme encore encombrant pour la dernière, amoureuse sans retour de la seconde…
Et voilà donc installé le dispositif de cette «Naissance des pieuvres» dont le récit s’articule autour d’une piscine, manière pour la cinéaste débutante de rendre visible, presque palpable, le corps de ses actrices et les pulsions (attirance, fuite, répulsion, etc.) de ces mêmes corps entre eux. «C’est la naissance du sentiment amoureux vu sous un angle très physique», confirme Céline Sciamma à propos de la manière sensuelle dont elle filme cette histoire, l’omniprésence de l’eau (élément sexuellement symbolique s’il en est) renforçant encore cette sensation.
Sur ce thème largement parcouru de l’adolescence confrontée à ses tourments amoureux, la scénariste et réalisatrice parvient avec beaucoup de subtilité à trouver de nouveaux sentiers, usant pour cela avec intelligence d’une homosexualité traitée à égalité avec l’hétérosexualité (mêmes douleurs, mêmes bonheurs). «Naissance des pieuvres» raconte avant tout comme on tombe amoureux, détaille Céline Sciamma. Ce prisme de l’homosexualité permet de raconter une nouvelle fois la naissance de l’amour d’une manière différente. Et offre cette chance de pouvoir filmer des choses qui n’ont jamais été filmées auparavant comme la séquence de dépucelage entre les deux filles. Mais à travers ces trois personnages, le film dit que tous les désirs sont invivables, tous les désirs sont inassouvis et l’homosexualité peut être contextuelle. Le film ne fait pas de Marie un personnage martyr. (…) Elle est le personnage principal mais, paradoxalement, c’est elle qui est le plus du côté de l’observation. Même si elle a un objectif qu’elle cherche à atteindre, elle est avant tout une lentille qui observe. C’est un personnage qui est dans l’auscultation mais que nous allons ausculter aussi. A travers elle, je voulais parler de ce moment où naît un désir qui s’impose. Elle vit la naissance de ce désir en temps réel, comme quelque chose d’imprévisible, et le spectateur doit le vivre en même temps qu’elle. Nous sommes avec elle dans la séduction, la compréhension, la souffrance… Je voulais incarner ce mouvement qui se déploie sur quelques jours, ce moment où la conscience naît… ».
> Le film: brillamment écrit et mis en scène
Il y a la belle Floriane que les garçons reluquent tous et qui s’amuse à les aguicher et à confirmer sa réputation de séductrice facile. Il y a Anne, trop boulotte et trop toujours joyeuse pour être vraiment heureuse, qui rêve de l’amour romantique sans que le garçon sur qui se portent ses désirs la remarque. Et puis il y a Marie, mince et fragile, discrète et déterminée, qui ne sait quoi faire de ce qu’elle ressent pour Floriane…
Autour de ces trois gamines de 15 ans réunies autour du bassin d’une piscine, Céline Sciamma a dessiné une chronique lumineuse et cruelle, sensuelle et presque mutique, qui va les emmener vers cette mythique «première fois» si souvent décevante. Brillamment écrit et mis en scène, «Naissance des pieuvres» (qui nous fait découvrir trois apprenties comédiennes éblouissantes) explore tous les désirs de la même manière. Ce n’est pas la moindre de ses nombreuses qualités.
«Naissance des pieuvres», de Céline Sciamma, avec Pauline Acquart, Adèle Haenel, Louise Blachère. Sortie le 15 août.