Il est souvent dit que la littérature -notamment française- a beaucoup contribué à l'émancipation homosexuelle. Quel rôle a joué l'image, la photographie en particulier, dans ce sens?

-Pierre Borhan: La photographie a joué un rôle moins important que la littérature, pour aider les homosexuels à se libérer des interdits, à s'émanciper, à s'assumer. La représentation de relations homosexuelles a posé des problèmes jusqu'aux années 1970. Du début du 20ème siècle jusqu'aux années 1960, les photos reproduites dans les magazines avaient besoin de justifications et souvent d'alibis (sport, santé, références historiques...). Les responsables de la presse n'avaient pas envie, ou n'osaient pas prendre de gros risques. A quoi bon ?! Les publications qui s'adressaient, sans l'avouer, à la clientèle homosexuelle étaient souvent diffusées principalement par correspondance. Un photographe comme Raymond Voinquel, très apprécié dans le monde du cinéma des années 30 aux années 70, qui faisait le portrait de tous les grands acteurs de l'époque, ne montrait ses nus masculins qu'à ses amis. Il savait que leur publication pouvait compromettre sa carrière. Il en était de même, aux Etats-Unis, pour George Platt Lynes, pour Horst, pour Minor White. C'est seulement après les événements de Stonewall, en 1969, le mouvement de libéralisation des moeurs et la sortie du placard de quelques homosexuels renommés, que des magazines ont affiché ouvertement leur orientation, et publié des photos plus osées. Autrement dit, j'ai le regret de le dire, la photographie a plutôt suivi que précédé l'émancipation. De très belles photos ont été faites dès le 19ème siècle, mais elles n'ont pas eu une grande incidence politique

L'évolution de la société sur les questions sexuelles a permis à la photo homoérotique de se développer et de se libérer. En quoi la photo homoérotique a-t-elle influencé l'évolution de l'art photographique, transformé ses tendances ?

-La photographie homoérotique a participé à l'acceptation de l'homosexualité par la société qui s'est de plus en plus familiarisée avec ces amours de moins en moins coupables, et progressivement de plus en plus normales. Quelquefois, voir aide à déverrouiller l'esprit, à décrasser l'imagination, à déstabiliser une morale aussi arbitraire que contraire à la nature. L'image aide à désinfecter les plaies faites par les bourreaux convaincus de leur bon droit à régenter le coeur et le sexe de tous les êtres humains. Nan Goldin dans les musées, je pense que ce n'est pas anodin. C'est utile.

Si vous deviez citer trois noms de photographes et trois clichés correspondant aux grandes périodes qui jalonnent l'histoire de l'homoérotisme, quels seraient-ils?

-Wilhelm von Gloeden, "Trois tendres jeunes hommes" (l'alibi des amours de jeunesse)
-George Platt Lynes, John Leaphart and Robert McCarthy (un Noir et un Blanc en pleine tendresse amoureuse)
-Robert Mapplethorpe, "Man in Polyester Suit" (un pénis sorti d'une braguette, pas de visage, rien que le sexe, et noir qui plus est).