Bill T. Jones, l'heure de l'apaisement pour le chorégraphe-militant noir américain - Danse

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Bill T. Jones, l'heure de l'apaisement pour le chorégraphe-militant noir américain

Noir, homosexuel et séropositif, le chorégraphe américain Bill T. Jones, dont la compagnie trentenaire a ouvert cette semaine le festival de Marseille, a toujours placé la lutte contre les discriminations au coeur de son travail, mais à 61 ans, il veut d'abord parler de son art au présent, sous le signe de l'apaisement.

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Bill T. Jones, l'heure de l'apaisement pour le chorégraphe-militant noir américain
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Mis en ligne le 24/06/2013

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Bill T. Jones

Figure engagée contre les injustices, qu'il a combattues avec rage et colère, surtout après la mort en 1988 de son compagnon Arnie Zane, décédé du sida, l'artiste s'agace aujourd'hui d'être trop souvent résumé à son militantisme, "contrarié" qu'on évoque "l'histoire de Bill au lieu de son oeuvre".

"Il y a 30 ans, on me questionnait sans cesse: pourquoi êtes-vous avec ce petit homme homosexuel blanc? Qu'essayez-vous de prouver? Est-ce de l'art ou de la politique? Et on continue encore à me poser ces questions", confie-t-il dans un entretien à l'AFP, las de devoir "constamment faire ses preuves", à la différence de chorégraphes du sérail, comme Merce Cunningham ou Trisha Brown.

Certes, la composition de sa troupe, la Bill T. Jones/Arnie Zane Dance Company, aux multiples origines ethniques et silhouettes, "reflétant la variété du monde", n'est pas anodine, et il a été précurseur en la matière. Sur scène, se côtoient des danseurs noirs, élancés et tout en muscles comme lui - cela lui tient à coeur depuis que lui-même ne se produit plus sur scène -, et des femmes de petit gabarit, "une Chinoise", "une Espagnole"...

Certes, le fait de garder le nom d'Arnie Zane est aussi un choix politique, pour qu'il ne devienne pas "une statistique anonyme et que l'esprit de la compagnie perdure".

"Physicalité"

Mais "je me vois d'abord comme un artiste", soucieux de véhiculer "une voix authentique" et d'"émouvoir" le public, insiste le charismatique chorégraphe au physique d'ascète, comparant son travail, laborieux, à celui d'un "artisan-cordonnier". "Parfois mes spectacles parlent de mort, de pouvoir, mais le plus souvent ils parlent de contact, d'amour", poursuit Bill T. Jones, qui prépare pour Broadway - scène qui lui a déjà permis de remporter deux Tony Awards - une comédie musicale sur la pègre.

Dans le programme présenté dans la cité phocéenne, mêlant création (Ravel) et reprises (Continuous replay et D-Man in the waters), les corps se frôlent, se touchent, s'empoignent à un rythme survolté, avec puissance, passion et allégresse. Dans un dialogue incessant avec la musique classique (Ravel, Beethoven, Mendelssohn), jouée par un ensemble orchestral.

"Bill a apporté à la danse contemporaine cette énergie absolument extraordinaire, cette gestuelle si reconnaissable, la physicalité", analyse la directrice du festival de danse et arts multiples de Marseille, Apolline Quintrand.

A New York, Bill T. Jones vient de fêter les 30 ans de sa compagnie, fier "d'avoir survécu", souffle-t-il, le regard intense derrière ses lunettes noires.

Né le 15 février 1952, dixième d'une famille de travailleurs agricoles, il a livré ses souvenirs de jeunesse dans un touchant livre de mémoires ("Dernière nuit sur terre", 1995). Il y raconte ses années d'enfance passées à voyager au rythme des récoltes saisonnières, les premiers concours de danse avec ses soeurs, avant son installation en 1959 dans la Grande Pomme, où il étudie la danse à l'université de Binghampton.

En 1971, il tombe amoureux d'Arnie Zane, avec qui il forme pendant 17 ans un duo emblématique et controversé de la danse postmoderne américaine. Après la disparition de son alter ego et la découverte de sa séropositivité, il croit que "tout est fini" et se lance dans un âpre combat contre les exclusions, le racisme, le sida, la maladie en général - il crée des "ateliers de survie" dans les hôpitaux américains (Last supper at uncle Tom's cabin/The promised land, Last night on earth, Still Here).

Sur la scène du Silo à Marseille, Bill T. Jones, plus de 140 oeuvres à son actif, a levé le poing à l'heure du salut, cris de rage à l'appui. Signe que son passé militant n'est jamais loin...

(Source AFP)

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