Flash-back: le 26 mai, Kechiche et ses deux actrices, Adèle Exarchopoulos, 19 ans, LA révélation du festival de Cannes, et Léa Seydoux, 28 ans, nouvelle valeur sûre du cinéma, laissent exploser leur joie et leur complicité sur scène devant les caméras du monde entier. Pour la première fois, un jury a décidé d'associer des actrices à un film couronné de la Palme d'or, en plus de son réalisateur.

Quatre mois plus tard, dans Télérama, le réalisateur se dit "humilié et déshonoré", essentiellement par les propos de Léa Seydoux, et va jusqu'à lancer que le film "ne devrait pas sortir" car il a été "trop sali". Entre-temps, les actrices, qui louent les qualités du film, ont dénoncé dans la presse des conditions de tournage "horribles", notamment lors des longues et très explicites scènes de sexe, des journées sans fin, des centaines de prises pour une même séquence, etc. Seydoux, omniprésente à la une des magazines, jure qu'elle ne tournera plus avec Kechiche. Exarchopoulos est plus mesurée, voyant dans le cinéaste un "génie torturé". "Abdel ne nous a ni frappées ni torturées, il nous a juste demandé de tout donner", a-t-elle dit aux Inrocks.

Ancien comédien de théâtre, Kechiche a le don de concentrer critiques et louanges. Quelques techniciens ont dénoncé aussi les conditions de tournage du film, sur fond de division de la profession sur la nouvelle convention collective du secteur. Mais, répond la maison de production Wild Bunch, Kechiche "tourne en grande partie avec les mêmes techniciens depuis le début !"

L'auteure de la BD ("Le bleu est une couleur chaude") dont le film est inspiré, Julie Maroh, s'est dite "mal à l'aise" face à "un étalage brutal et chirurgical" de sexe. De l'autre, des actrices comme Elodie Bouchez ("La faute à Voltaire") et Hafsia Herzi, révélation de "La graine et le mulet", sont venues à son secours, comme dans la revue So Film. C'est un "homme très humain qui donne sa chance aux gens même quand ils n'ont pas d'expérience", dit Herzi.

Cinéaste exigeant Dans "La vie d'Adèle" comme dans ses cinq autres films, le cinéaste de 52 ans imprime son style: un jeu d'acteur le plus naturel possible. "C'est une démarche de voir jusqu'où on peut atteindre la vérité entre guillemets d'un personnage, et se débarrasser du jeu sachant qu'on ne s'en débarrasse jamais vraiment", explique le cinéaste, sans doute l'un des plus exigeants actuellement.

La carrière de Kechiche est jalonnée de récompenses: à Venise, aux Césars ("L'esquive" en 2005 et "La graine et le mulet" en 2008) et maintenant à Cannes. En attendant peut-être une nomination aux Oscars pour les deux actrices ou Adèle Exarchopoulos seule, comme la rumeur circule.

De quoi s'agit-il ? Adèle (Adèle Exarchopoulos) est une lycéenne qui rêve de devenir institutrice. Elle sort avec des garçons jusqu'au jour où elle croise dans la rue Emma (Léa Seydoux), une jeune femme aux cheveux bleus, étudiante aux Beaux Arts. Bien au-delà de scènes de sexe largement évoquées dans la presse, "La vie d'Adèle" raconte l'histoire de cette jeune fille qui passe de l'adolescence à la vie d'adulte, et d'une relation passionnelle entre deux êtres aux vocations - l'enseignement pour l'une, la peinture pour l'autre - et aux classes sociales bien différentes. Kechiche montre avec humanité, sensualité et finesse les émotions et le trouble sur leurs visages, souvent filmés en gros plan, à travers un regard ou le mouvement d'une bouche.

Pas question de faire un film militant pour les droits homosexuels. Le cinéaste et les deux actrices défendaient encore ensemble début septembre l'universalité du film, très applaudi au festival de Toronto. En remettant la Palme d'or, le roi d'Hollywood Steven Spielberg lui-même déclarait avoir été séduit par cette "très belle histoire d'amour à laquelle tout le monde peut s'identifier". En France, ce long métrage de 3 heures est assorti d'une interdiction aux moins de 12 ans avec avertissement en raison de scènes de sexe très crues.

(Source AFP)