<I>Il y a beaucoup de possibilités pour explorer un personnage et une histoire au travers du sexe</I> - Travis Mathews, réalisateur

Travis Mathews, réalisateur

Il y a beaucoup de possibilités pour explorer un personnage et une histoire au travers du sexe

"Interior. Leather bar", qui sort le 30 octobre en salle, réinvente les scènes coupées du film culte "Cruising" de William Friedkin. Rencontre avec le co-réalisateur Travis Mathews qui parle de son travail mené en commun avec James Franco.

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Il y a beaucoup de possibilités pour explorer un personnage et une histoire au travers du sexe
Travis Mathews, réalisateur

Mis en ligne le 15/10/2013

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Interior. Leather bar. Travis Mathews James Franco

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Travis Mathews est un cinéaste primé dont les films ont pour sujet les gays et leur intimité. Il propose un cinéma mélangeant sensibilité, naturalisme et humour.

En 2009, il débute la réalisation de la série documentaire "In their room", où il filme des hommes gays dans leur chambre. Le premier épisode est filmé à San Francisco, puis les suivants à Berlin (2010) et plus récemment à Londres (2012).

En 2010, le distributeur spécialisé TLA décerne le Prix du Meilleur Court Métrage à Travis Mathews pour "I want your love". La version longue du film est projetée dans des dizaines de festivals internationaux en 2012.

C'est après l'avoir visionnée,que James Franco a contacté Travis Mathews pour lui proposer une collaboration. Ils réalisent alors ensemble le film "Interior. Leather bar", présenté au Festival de Sundance 2013 et au Festival de Berlin 2013. Le film a été diffusé lors du festival parisien Chéries-Chéris jeudi avant une sortie en salle le 30 octobre.

Travis Mathews nous raconte l'histoire de ce projet.


Comment avez vous rencontré James Franco et monté ce projet ?

Durant l’été 2012, mon premier film "I Want your love" tournait sur plusieurs festivals de cinéma et attirait l’attention grâce à la manière dont j’introduis des scènes de sexe gay non simulés dans mes films. Au même moment, James était intéressé par un projet qui revisitait le film "Cruising" de William Friedkin.

Le but n’était pas d’en faire un remake mais plutôt de l’utiliser comme tremplin pour en faire autre chose. Qu’est-ce que vous trouvez de plus fascinant dans "Cruising" ? Une des choses que nous avons trouvé la plus intéressante à propos de "Cruising", c’est la façon dont s’est répandue la rumeur selon laquelle William Friedkin aurait détruit 40 minutes d’images afin d’éviter d’être classé X.


Ces 40 minutes sont censées avoir été détruites. Que ce soit vrai ou faux, elles n’ont en tout cas jamais été projetées publiquement. Donc pourquoi ne pas réinventer ces 40 minutes qui ont été perdues ? Nous sommes partis de là. A ce moment je croyais toujours importants d’intégrer dans le film toutes les idées métaphysiques que j’avais pour frapper fort.

En fin de compte nous avons estimé qu’il était plus logique de façonner le film autour de la production et de la réalisation car cela nous permettait d’avoir la liberté nécessaire de confronter ces idées à James et de créer une histoire autour de l’acteur Val Lauren, qui permet un parallèle avec "Cruising" inattendu.


Si nous avions voulu faire quelque chose de très stylisé et soigneusement mis en scène, nous n'aurions pas obtenu un film de plus de 10 minutes en 4 semaines de tournage. Finalement, le film est une combinaison de ce qui est ostensiblement derrière la caméra et les scènes qui sont le film-dans-le-film et qui font partie des supposés 40 minutes réinventées.


Comment s’est déroulé le casting ?

J'ai trouvé les acteurs de deux façons différentes. Un des acteurs, Brenden Gregory, travaillait avec moi sur la version courte de "Iwant your love" en 2010. Je savais qu’il vivait à Los Angeles et je voulais avoir la chance de travailler de nouveau avec lui. Je l’ai donc contacté, et lui et son compagnon dans la vraie vie, Bradley Roberge, ont pris part au projet. Brenden était un peu réticent au début car il voulait que son rôle d’acteur soit pris au sérieux et il ne voulait pas d’un autre film où il aurait à se dénuder.

Nous avons mis fin à cette discussion, sachant tous les deux que nous avions besoin de ces scènes, et nous n’en avons pas reparlé avant le premier jour du tournage. C’était un autre aspect du film qui était à la fois réel et mis en scène. Nous avons été filmé en train de travailler, c’était dans la première version du film, mais maintenant ça n’apparaît que dans les bonus du DVD.

Nous avons également effectué un casting chez Playhouse West, l’agence dans laquelle James Franco a fait ses débuts. Je n’avais jamais de casting de ce genre avant. La seule chose que les candidats savaient était que c’était un projet dans lequel James Franco était impliqué dans une scène de bar gay.


Il devait y avoir environ 50 mecs qui participaient au casting, ils se sont tous assis dans des sièges de théâtre, et Iris Torres, l’un des producteurs, m’a donné la parole pour présenter le projet. Dès que j’ai abordé les particularités du film, un bon tiers de la salle avait quitté la pièce. Je ne demandais à aucun des mecs d’avoir des relations sexuelles. Ils allaient tous être des figurants pour la scène de bar, mais je leur demandais d’être dans un espace où des personnes forniqueraient à leurs cotés.

Pour ça, j’avais besoin de savoir à quel point ils étaient à l’aise avec l’idée d’embrasser ou de toucher un autre homme dans un endroit supposé être un bar fétichiste. Ce que nous avons fini par faire a été de placer différentes personnes aux différents coins de la salle, en fonction de leur facilité à interagir avec un autre homme et être proche des scènes de sexe.

Je me suis tué à la tâche un peu plus chaque jour, espérant que nous ayons filmé ça.


Quelles sont les références que vous avez pris du film "Cruising" ?

Une des choses que je savais à propos de "Cruising", c’est que son histoire est comme un paratonnerre pour beaucoup de gens, et il le reste, pour sa représentation des homosexuels. J’avais revu "Cruising" quelques mois avant que James ne me contacte, et je l’ai revu de nouveau immédiatement après ça… Je continue de penser que si vous visionnez les seules scènes de bar gay - oubliez cette histoire de meurtre, oubliez même Pacino - ce film est vraiment un document intéressant et important du New York gay, la subculture cuir aux mains du sida.

On ressent cette ambiance car, selon certaines personnes ayant participé aux scènes de bar gay originales, Friedkin encourageait ses figurants à occuper l’espace, qui était un vrai un bar gay S&M, comme si c’était une nuit comme les autres.

Donc les gens buvaient, fumaient, fumaient de la marijuana, prenaient des poppers, et selon beaucoup de témoignages, beaucoup ont eu de vraies relations sexuelles. Je pense que c’est pour cela que ces scènes ont un arrière goût de documentaire. Je comptais sur certaines personnes pour fermer les yeux sur certains aspects de la production du fait de l’implication de James dans le projet. Mais je m’attendais aussi à ce que de nombreuses personnes soient surprises et me demandent 'Pourquoi revisiter ce film ?'.

Je voulais trouver un moyen de créer un élément de protestation en 2012. Dans la première version, il y avait effectivement certaines personnes ne faisant pas parties de la production, qui protestaient, ce qui me paraît vraiment stupide quand j’y repense maintenant. Et donc, nous avons trouvé un moyen de l’introduire subtilement dans le film de façon à ce que ça paraisse très authentique et pas exagéré. Vous pouvez voir dans cette scène un groupe de figurants assis - ne sachant pas très bien ce qu’ils faisaient ou ce que l’on attendaient d’eux -, discutant du projet et ce qu’ils ressentaient vis à vis de lui ou de James, ou encore de comment serait perçu le film par le public une fois qu’il serait fini.


Je pense que cette scène est une version moderne de ce qu’est protester, une bonne partie de ce qu’ils disaient a été repris par des internautes.

Comment avez-vous filmé les scènes de sexe ?

Vous savez, je n’ai jamais pensé que je serais célèbre pour mes scènes de sexe. Ca peut paraître stratégique mais c’est juste arrivé comme ça. J’ai toujours voulu raconter des histoires que je ne voyais pas au cinéma, celles qui sont honnêtes, intimes et partent dans des directions différentes… Et finalement cet intérêt s’est exprimé par le sexe.


Il y tellement d’histoires différentes qui peuvent être contées au travers des corps et des rapports sexuels. Vous pouvez prendre tellement de chemins différents – un moment c’est amusant, puis c’est super fun, puis sexuel, et puis c’est comme si vous repreniez votre souffle ou alors vous n’êtes pas en sécurité. Il a beaucoup de possibilités sous estimées pour explorer un personnage et une histoire au travers du sexe.

Filmer des scènes de sexe permet de revenir aux sources, comme faire confiance, donner de la place aux acteurs, les respecter en tant qu’individus, et surtout, les mettre en valeur autant que possibles.

Interior. Leather bar. Parrainé par E_llico.com. Sortie en salle le 30 octobre à Paris. 

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