Inde
Pour la sortie de son film sur l'homosexualité, un réalisateur se bat contre... le fisc
En décidant de réaliser en Inde un film sur l'homosexualité, Kiran Kumar Devmani s'était préparé à un combat contre l'autorité de censure, traditionnellement conservatrice, mais jamais il n'avait imaginé qu'il devrait batailler contre le fisc.
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Pour la sortie de son film sur l'homosexualité, un réalisateur se bat contre... le fisc
Inde
Mis en ligne le 08/02/2016
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Trois ans après la fin de son projet, Devmani se heurte toujours à l'hostilité de l'administration fiscale qui estime que son film pourrait troubler l'ordre public dans un pays où l'homosexualité est punie par le code pénal.
"Qu'y a-t-il de tellement controversé dans l'homosexualité ?", s'interroge Devmani, un spécialiste de médecine ayurvédique devenu cinéaste, depuis son petit bureau d'un centre commercial de la ville d'Ahmedabad (ouest).
"Mon film ne contient pas une seule scène avec des gays se tenant ne serait-ce que la main. Ce film traite des difficultés que rencontrent des homosexuels dans la société à différentes étapes de leur vie", dit le réalisateur de 30 ans.
Comme tous ses confrères cinéastes, Devmani demande une déduction fiscale pour son film, réalisé en indépendant, avant sa diffusion, une requête habituellement accordée aux réalisateurs indépendants pour limiter leurs pertes.
Mais le gouvernement de l'Etat du Gujarat, les terres du Premier ministre Narendra Modi, a rejeté sa requête au motif que"Meghdhanushya - The Colour of Life" pourrait envoyer un "signal négatif" laissant croire que l'administration promeut "une telle idéologie".
Le bureau de censure indien a donné son feu vert à la sortie du film avec la mention "réservé aux adultes" et la Haute-Cour du Gujarat a donné raison à Devmani à propos de sa demande au fisc.
Mais l'Etat du Gujarat a déposé un recours auprès de la Cour suprême, qui risque d'allonger sérieusement le processus.
Soutien d'un prince homosexuel
Le combat de Devmani intervient au moment où la communauté gay célèbre la décision de cette même Cour de réexaminer une loi remontant au XIXe siècle. La Cour a redonné espoir aux militants d'obtenir l'abrogation de l'article 377 du code pénal prévoyant l'emprisonnement pour les actes sexuels "contre nature".
Cette annonce n'est qu'une mince consolation pour le réalisateur qui se dit ostracisé dans un pays socialement conservateur où l'homophobie affleure régulièrement et où les homosexuels sont victimes de harcèlement et de violence.
"Les arguments du gouvernement de l'Etat pour ne pas accorder l'exemption fiscale reflètent son attitude envers les homosexuels de notre société", estime-t-il.
Le fisc, qui s'est refusé à tout commentaire auprès de l'AFP, avait estimé devant le tribunal que le film "promouvait" une activité illégale constituant un "fléau social" et était par conséquent inéligible à une déduction fiscale.
Il a aussi avancé que sa diffusion pourrait troubler l'ordre public en suscitant des tensions entre les partisans et les opposants à l'homosexualité.
Devmani a reçu le soutien de groupes gays. Et le prince Rajpipla Manvendra Singh Gohil, qui a déclaré son homosexualité, a estimé que de tels films devaient être encouragés pour lutter contre l'ignorance de la société sur les gays et lesbiens.
Gohil est le descendant d'une famille royale du Gujarat. Agé de 50 ans, le prince a été rejeté par sa communauté et par sa propre famille lorsqu'il a fait son coming out. Il est désormais engagé dans la lutte contre le Sida via son association.
"Il n'y a aucune obscénité ou vulgarité dans le film de Devmani", dit Gohil.
"Je pense que les responsables du fisc doivent être mieux informés à ce sujet. Ils semblent ne rien connaître des homosexuels", ajoute-t-il.
(Source + photo AFP)