
Scandale
Traiter un coiffeur de PD n'est pas homophobe selon une décision des prud'hommes
Le jugement scandalise la ministre du Travail et les associations: le conseil de prud'hommes de Paris considère que le terme de "PD" adressé à un coiffeur n'est pas homophobe car "il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles".
E-llico.com / Actus
Traiter un coiffeur de PD n'est pas homophobe selon une décision des prud'hommes
Scandale
Mis en ligne le 08/04/2016
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Interviewée sur RTL, la ministre Myriam El Khomri a qualifié vendredi de "scandaleux" et "choquant" ce jugement prud'homal.
Slimane Laoufi, chef du pôle emploi privé au Défenseur des droits, qui soutient le coiffeur, a regretté une "énormité" juridique. Les associations de défense des homosexuels, qui l'ont largement relayée sur les réseaux sociaux, s'inquiètent, elles, d'une décision qui "peut contribuer à renforcer le climat homophobe".
L'affaire démarre en octobre 2014 quand un jeune homme, employé en période d'essai dans un salon de coiffure parisien, reçoit par erreur un texto de sa manager: "Je ne garde pas (l'employé, NDLR), je le préviens demain (...) je ne le sens pas ce mec: c'est un PD, ils font tous des coups de putes", selon les faits relatés par le jugement du 16 décembre 2015.
Le lendemain, le jeune homme se présente sur son lieu de travail. La rupture de sa période d'essai lui est signifiée. "Quand je l'ai rencontré, c'était quelqu'un de détruit. Il était rentré se réfugier chez sa famille. Il a fait plusieurs mois de thérapie", raconte son avocat, Me David Caramel.
S'estimant victime de discrimination liée à son orientation sexuelle, la victime, qui souhaite garder l'anonymat, attaque son employeur devant les prud'hommes. Le salon de coiffure, dans sa défense, fait valoir que l'employé "travaillait lentement", avait des "difficultés d'intégration" et "refusait d'exécuter certaines tâches". Tout en reconnaissant "le caractère et la teneur inappropriés du SMS", l'employeur estimait que le terme de "PD", "entré dans le langage courant" "n'est qu'un simple abus de langage" et qu'il n'a "aucun sens péjoratif ou homophobe dans l'esprit de la manager".
Dans sa décision, le conseil de prud'hommes reprend les arguments de l'employeur en se justifiant ainsi: "En se plaçant dans le contexte du milieu de la coiffure, le conseil considère que le terme de PD employé par la manager ne peut être reconnu comme propos homophobe car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes."
Le conseil considère que "l'employeur n'a pas fait preuve de discrimination (...) mais que ce sont des propos injurieux qui ont été prononcés". Il accorde à l'employé 5.000 euros au titre du préjudice moral. "Pourtant, on ne peut pas se contenter de dire que ce n'était qu'un propos malheureux. Il a bien été suivi d'actions", soit la perte d'un emploi pour son client, dénonce Me Caramel.
Ce jugement choque les associations de défense des homosexuels et transsexuels. Nicolas Noguier, président et fondateur du Refuge, qui héberge et accompagne des jeunes victimes d'homophobie ou de transphobie, est "scandalisé". Pour lui, cette décision de justice est "clairement homophobe" et "véhicule des clichés tels que: 'les coiffeurs pour dames sont des pédés'". "C'est vraiment un condensé en trois ou quatre lignes de toutes les insultes que peuvent subir les jeunes qu'on accompagne", déplore-t-il. "Au départ, j'ai cru que c'était une blague du 1er avril en retard. C'est vraiment ahurissant."
Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l'Inter-LGBT, "condamne" de son côté "l'homophobie ordinaire" d'une décision qui "peut contribuer à renforcer le climat homophobe, déjà important" dans le pays. "Il y a très peu de prise en considération des discriminations de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur genre en entreprise", peste-t-elle. Et les personnes discriminées "enclenchent rarement des procédures" et "préfèrent se taire", regrette-t-elle.
SOS homophobie dit sa "stupéfaction" devant "la motivation intolérable" du jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris. "La décision reprend à son compte la défense d'un employeur qui considère que PD relève du langage courant. Cette décision se fonde sur des considérations d'ordre général, non vérifiées, et basées sur des stéréotypes pour finalement refuser de reconnaître le caractère homophobe et ne pas appliquer la loi", estime l'association.
SOS homophobie exige que de tels propos, "incompatibles avec la rigueur qu'implique la fonction juridictionnelle, soient condamnés fermement par le Président du Conseil de prud'hommes de Paris ainsi que par le Garde des Sceaux".
"En phase de reconstruction", la victime, qui a repris "une activité indépendante", a fait appel, a déclaré son avocat, qui précise: "Quand je l'ai eu au téléphone, il était très touché des réactions de sympathie reçues."
(Avec AFP)