Cinéma LGBT
Didier Roth-Bettoni à la redécouverte de Nous étions un seul homme
Didier Roth-Bettoni publie "Différent - 'Nous étions un seul homme' et le cinéma de Philippe Vallois", un ouvrage consacré à ce pionnier du cinéma LGBT français, accompagné du DVD du film. Rencontre avec l'auteur.
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Didier Roth-Bettoni à la redécouverte de Nous étions un seul homme
Cinéma LGBT
Mis en ligne le 04/05/2016
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Ancien rédacteur en chef d'Illico (version imprimée), critique de cinéma et auteur de l'ouvrage de référence "L'Homosexualité au cinéma" (éd. La Musardine) en 2007, Didier Roth-Bettoni publie aujourd'hui "Différent - 'Nous étions un seul homme' et le cinéma de Philippe Vallois", un ouvrage consacré à ce pionnier du cinéma LGBT français, accompagné du DVD du film ainsi qu'un bonus inédit dans lequel Vallois et ses acteurs racontent le tournage.
Présenté au Festival de Cannes en 1979, "Nous étions un seul homme" raconte l'histoire de deux hommes supposés ennemis, l'un français, l'autre allemand, pendant seconde guerre mondiale. Guy, jeune forestier, recueille sous son toit un soldat allemanf, Rolf. Ils vont progressivement briser les tabous pour ne former qu'un seul homme.
Rencontre avec l'auteur.
"Nous étions un seul homme" est devenu ce qu'on appelle un film "culte" pour le cinéma LGBT français. C'est parce qu'aucun ouvrage spécifique ne lui avait été consacré jusqu'ici que tu as décidé de combler ce manque?
Oui, en partie. Ce film, très méconnu, a néanmoins marqué ses spectateurs de l'époque, qui lui ont donné immédiatement ce statut de film culte, statut qui perdure aujourd'hui encore, 37 ans plus tard. Et j'ai donc eu envie de me pencher sur sa spécificité, celle qui faisait qu'il avait profondément impressionné ceux qui le découvraient en 1979, et d'essayer de comprendre pourquoi.
J'ai donc épluché le courrier reçu par Philippe Vallois à l'époque, j'ai relu toute la presse et je me suis replongé dans ce qu'était le cinéma gay français dans ces années 70 finissantes. C'est aussi cela que je raconte dans ce livre, au-delà du film qui lui sert de point de départ, au-delà même de l'œuvre de son auteur : un moment historique où le mouvement LGBT est très actif politiquement, très revendicatif, qui est aussi un moment assez foisonnant pour les représentations de l'homosexualité.
Cette période voit en effet l'éclosion d'un cinéma militant, identitaire, alternatif, underground, avec de multiples courts métrages et quelques longs, dont les films de Vallois sont les exemples les plus frappants, avec "Racep d'ép", de Lionel Soukaz et Guy Hocquenghem. Donc oui, je voulais essayer de combler un triple manque : sur un film méconnu mais important dans sa modernité ; sur un cinéaste trop peu connu et pourtant essentiel dans notre hstoire ; sur une période historique du cinéma homo oubliée alors qu'elle a beaucoup fait bouger les images de nous-mêmes.
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Ce film qui date de 1979 peut-il encore parler à la jeune génération de gays alors que le cinéma LGBT a produit depuis des centaines de films de toute sorte ?
C'est une question compliquée car, même si "Nous étions un seul homme" est un film très moderne sur beaucoup de points - et en particulier sur le regard absolument désinhibé qu'il porte sur l'homosexualité, sur l'amour homosexuel -c'est aussi un film de son temps, avec un certain nombre de traits narratifs ou de mise en scène qui correspondent à un certain cinéma d'auteur des seventies.
Ce qui me semble pouvoir parler aux jeunes spectateurs d'aujourd'hui, c'est la dimension mythique de l'histoire d'amour que le film raconte. La relation qui se construit tout au long du film entre Rolf, le soldat allemand, et Guy, le jeune paysan français un peu simplet, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, cette histoire qui aboutit à une scène d'amour magnifique et qui se termine par un drame sublimé, c'est l'équivalent d'un Tristan et Yseult gay, où l'amour transcende la vie et la mort. Et cela, cet aspect légendaire, c'est intemporel, cela parle à tous.
En quoi reste-il une référence ? Pour son caractère "historique", comme témoignage d'une époque révolue?
Cette dimension historique existe, ce serait idiot de le nier. Elle compte, bien évidemment. Mais limiter l'importance de ce film à cela serait passer à côté de ce qui me semble le plus frappant le concernant : son côté incroyablement précurseur pour ce qui est des représentations de l'homosexualité à l'écran. Avec près de trente ans d'avance, Philippe Vallois fait de l'homosexualité un non-sujet mais une évidence.
Pour ses personnages comme pour ses spectateurs, l'homosexualité est omniprésente mais elle n'est ni une revendication, ni une thèse, ni une question, ni un projet de scénario, ni une discussion, comme c'était généralement le cas à l'époque et pour de très longues décennies encore… Dans "Nous étions un seul homme", elle est ! Point. Elle est partout dans le film, de façon décomplexée, naturelle, libre, elle irrigue chaque image, et pourtant, elle n'est pas l'objet ou le sujet du film : ce sujet, c'est l'apprivoisement progressif de deux hommes et la construction progressive de leur amour. C'est une démarche ultra novatrice, quasiment sans équivalent jusqu'aux années 2000 ! En cela, cela reste une référence vraiment forte.
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Ce film continue d'être diffusé dans les festivals de cinéma LGBT français, mais a-t-il connu un écho à l'étranger et si oui lequel ?
Effectivement, les festivals LGBT en France reprogramment de temps en temps ce film, cela a été notamment le cas il y a trois ans lorsque Philippe Vallois a sorti son autobiographie ("La passion selon Vallois", aux éditions ErosOnyx). Mais le film a aussi une véritable reconnaissance à l'étranger. Dès sa sortie en 1979, il a reçu un prix au festival de Chicago, il a été montré au festival de Berlin et dans de grands festivals LGBT internationaux, de même que Vallois a eu droit à des rétrospectives à Turin ou Montréal, où le film a reçu un accueil enthousiaste. Dans les encyclopédies du cinéma gay américaines, il apparaît en bonne place, il a eu des sorties en vidéo…
Philippe Valois, le réalisateur, n'a cessé de tourner depuis cette oeuvre pionnière. Peut-on dire que son cinéma est resté fidèle à cette empreinte initiale ?
Philippe Vallois est un cinéaste étonnant, tout à fait singulier. "Nous étions un seul homme", en 1979, est son troisième long métrage. Le précédent, "Johan, carnet d'un jeune homosexuel", avait été présenté à Cannes et lui avait valu une certaine reconnaissance critique, qui est confirmée avec ce film. Et pourtant, il ne tournera plus qu'un seul film qui connaîtra une sortie au cinéma, en 1984 : "Haltéroflic".
Tout le reste de sa filmographie depuis - une dizaine de films - n'a connu qu'une diffusion en vidéo qu'il gère lui-même, comme il gère tout dans son cinéma. Cette autonomie, cette autarcie presque, cette manière de faire des films en dépit du manque de moyens et de reconnaissance (alors qu'il la mériterait largement plus que bien des réalisateurs en vogue), en se débrouillant, en inventant, c'est vraiment sa marque de fabrique.
Vallois, c'est un bricoleur de génie, un cinéaste instinctif à l'imagination débordante, que rien n'arrête tant il aime tourner. C'est sa vie. Il vient d'ailleurs de terminer un nouveau film, "Les Cercles du vicieux", qu'il sortira sûrement directement en DVD. Cela n'a pas d'importance : ce qui compte, c'est que ces films existent, c'est que Vallois puisse s'exprimer, avec toute sa liberté, sa fantaisie. Pour répondre directement à ta question, "Nous étions un seul homme" est un peu à part dans sa filmographie, plus grave que beaucoup d'autres, moins directement en prise avec la vie de Vallois, qui nourrit en général ses films de son vécu.
Mais en dépit de cela, c'est un film qui lui ressemble, dans le mélange des genres (c'est parfois réaliste, parfois onirique, à la fois très cru - voire trash - et poétique…), dans sa façon de regarder les corps masculins, dans sa liberté de ton absolue. C'est un film différent de ce qui était fait à l'époque, c'est une œuvre différente de celles des autres réalisateurs LGBT français, c'est une démarche très originale, très différente. C'est pour cela que je n'ai pas hésité longtemps à titrer ce livre "Différent !"…
Propos recueillis par Jacky Fougeray
"Différent - 'Nous étions un seul homme' et le cinéma de Philippe Vallois" - Editions Eros Onyx 23,50 euros.
En vente aux Mots à la Bouche à Paris et sur Intenet
Nous Etions un Seul Homme par philvallois