Les années sida à l'écran, par Didier Roth-Bettoni - Livre / Film

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Les années sida à l'écran, par Didier Roth-Bettoni

L'auteur de "L'homosexualité au cinéma", ouvrage de référence s'il en est, publie "Les années sida à l'écran", une somme passionnante sur les représentations du sida du début de l'épidémie à nos jours. Editée avec en bonus le film "Zero Patience" de John Greyson. 

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Les années sida à l'écran, par Didier Roth-Bettoni
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Mis en ligne le 09/06/2017

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Les années sida à l'écran Didier Roth-Bettoni

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Il n'existait pas en France d'ouvrage racontant la manière dont le cinéma et la télévision ont représenté la pandémie du sida. Depuis 1984 portant, documentaires et fictions, films et téléfilms ont eu à coeur de montrerles malades, les discriminations, les drames, la mort que le virus engendrait, notamment au sein de la communauté gay.

Didier Roth-Bettoni, ancien rédcateur en chef d'Illico à qui l'on doit "L'homosexualité au cinéma", ouvrage de référence s'il en est, retrace avec "Les annés sida à l'écran" cette période et ces images multiformes à travers plus de 200 films, téléfilms, séries, documentaires et courts métrages.

Un livre indispensable à l'heure où le festiavl de Cannes vient de récompenser de son Grand Prix un film sur l'histoire d'Act Up, "120 battements par minutes" de Robin Campillo.

La première réflexion qui vient à l'esprit en lisant ton ouvrage, c'est l'importance numérique de la production cinématographique liée au sida, en dépit de l'impression qu'on peut en avoir de prime abord.

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Didier Roth-Bettoni (Photo: Anne Desplantez): Effectivement, cela a été pour moi aussi une surprise lorsque j’ai commencé à travailler sur ce livre, lorsque j’ai commencé à faire des listes de films à voir ou revoir pour ce projet : un foisonnement bien au-delà du souvenir que j’en avais. On croit souvent, une fois qu’on a cité Philadelphia, Les Nuits fauves et trois ou quatre autres titres, qu’on a fait le tour de la question : on est très loin du compte.

Je recense dans le livre plus de 250 films de toute nature - ictions, documentaires, téléfilms, courts métrages… - et bien sûr, il y en a d’autres que je n’évoque pas, en particulier de très nombreux courts.

Pourquoi cet effet d’optique ? Pour plusieurs raisons bien entendu, et j’en retiendrai deux principales. La première, c’est que les “grands” films sur le sida, ceux que je citais juste avant, sont anciens, ils datent pour la plupart de la première moitié des années 1990, c’est-à-dire du pire moment de l’épidémie, et on a l’impression (fausse) qu’il n’y a presque rien eu depuis, que la question du sida est réglée depuis les trithérapies et qu’il n’y a plus de raison d’en faire le sujet de films.

La seconde raison, c’est que de très nombreux réalisateurs qui se sont intéressés au sida étaient eux-mêmes très intimement intéressés à la maladie, et que souvent celle-ci ne leur a pas laissé le temps de développer leur œuvre au-delà d’un premier film, parfois d’un second.

Je dresse dans le livre un listing, forcément incomplet, de tous ces cinéastes qui ont été fauchés, si jeunes, par le sida… Heureusement, des réalisateurs comme le Canadien John Greyson (l’auteur de Zero Patience, dont le DVD accompagne mon livre) ou les Français Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix…) ont réussi à traverser cette période et à proposer, régulièrement, des films évoquant le sida tout en pointant les évolutions de la maladie, des traitements, de la perception sociale, etc.

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(Photo : Zero Patience)

La diversité de traitement que le cinéma et la télévision vont faire du sida à travers la fiction tient-elle d'abord à l'évolution de l'épidémie et du regard que la société pose sur la maladie et les homosexuels ou du point de vue que les réalisateurs adoptent?

C’est une question complexe parce que, bien sûr, les deux réponses existent. Evidemment, le contexte politique et social a influé sur les films abordant le sida et la séropositivité : dans de nombreux cas, il a fallu faire des films pour dénoncer l’inertie des pouvoirs publics, pour s’en prendre aux laboratoires pharmaceutiques et à leurs politiques iniques de tarifs prohibitifs des médicaments, il a fallu faire des films pour briser le silence, l’indifférence voire l’hostilité.

Evidemment aussi, les évolutions des traitements ont elles aussi beaucoup changé les choses. Il y a très clairement un cinéma d’avant l’arrivée des trithérapies (en 1996) et un cinéma d’après, un cinéma dans lequel la mort gagne à tous les coups et un cinéma où on apprend à vivre avec.

Ces évolutions se poursuivent d’ailleurs, comme on le constate avec Théo et Hugo dans le même bateau, le dernier film de Ducastel et Maryineau l’an dernier, où, pour la première fois, il est question du traitement post-exposition.

Dans le même temps, on ne peut que constater que les images du sida sont très variables selon le point de vue qu’adoptent les cinéastes : certains ont privilégié le point de vue de l’entourage des malades (la famille et les proches, comme dans Philadelphia), d’autres celui du groupe gay et des malades anonymes (Un compagnon de longue date), d’autres le point de vue des chercheurs (Les soldats de l’espérance), celui des militants (The Normal Heart), d’autres encore le point de vue ultra intime de leur propre maladie, de leur mort en marche, comme Hervé Guibert ou Derek Jarman…

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(Photo: Un compagnon de longue date)

Peut-on repérer de grands chapitres dans cette histoire du sida au cinéma?

Il y a des étapes, c’est certain, même si beaucoup des mouvements ne se succèdent pas, mais cheminent en parallèle. Il y a ce qu’on pourrait nommer un cinéma compassionnel sur le sida, un cinéma à destination du grand public et qui prône la tolérance envers les malades et les homosexuels en raison de leurs souffrances. Un printemps de glace, le premier téléfilm américain sur le sujet (en 1985) ou Philadelphia, sont clairement sur de registre.

Il y a un cinéma plus communautaire aussi, à destination d’un public plus réduit, celui des spectateurs LGBT, et qu’on peut subdiviser en trois mouvements : un cinéma de réconfort, montrant une famille LGBT reconstituée et soutenant les malades et leurs proches avec des histoires empathiques (Un compagnon de longue date en est un bel exemple) ; un cinéma en colère, qui, dans la lignée d’une association comme Act up, dénonce la situation faite aux séropositifs, rue dans les brancards, refuse les bons sentiments et se bat pour sa survie (The Living End, de Gregg Araki, ou Zero Patience sont, chacun à leur manière, dans cette catégorie) ; et puis il faut parler des autofictions filmées, ces films incroyables et bouleversants que j’évoquais plus haut, dans lesquels des cinéastes filment leur propre maladie ou celle de leurs très proches.

A tout cela, il faudrait ajouter plein de nuances bien sûr. J’en citerai une toutefois : depuis quelques années, on constate un retour de nombreux cinéastes vers cette période tragique des débuts de l’épidémie.

Ce n’est pas un regard nostalgique bien sûr, c’est un regard nécessaire,n indispensable, sur cette histoire trop oubliée et évacuée de nostre histoire collective que de livre, à sa façon, essaie lui aussi de reconstituer et de remettre en lumière : 120 battements par minutes, le film de Robin Campillo primé à Cannés cette année et qui raconte la naissance d’Act Up-Paris, est une formidable illustration de ce phénomène. Mais il y en a d’autres : Dallas Buyers Club, The Normal Heart, la série suédoise Snö, etc.

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(Photo: Théo et Hugo)

Quelle part le militantisme occupe-il dans la filmographie sida?

Une part très importante. J’en veux pour preuve le fait que nombre des cinéastes qui ont fait des films sur le sida étaient (et sont toujours pour ceux qui sont toujours là) engagés dans la lutte pour le droit des homosexuels et engagés dans la lutte contre le sida.

Par ailleurs, une association comme Act Up, à New York, a dès ses débuts mis en place un groupe chargé de réaliser des documentaires sur ses actions. Et on ne peut que constater que cette association a été un incroyable vivier de réalisateurs qui ont produit des films sur le sida : c’est le cas de Robin Campillo, mais aussi de Ducastel et Martineau, de Stéphane Giusti, de documentaristes américains et français…

Tout cela n’est pas étonnant : le cinéma, la production d’images du sida, des malades, des séropos, de la communauté soudée, a été une dimension essentielle du militantisme LGBT durant cette période des années sida.

Le relâchement de la prévention contre le sida et le fort rebond du bareback ont-ils trouvé une place dans les films traitant du sida?

Non, bizarrement, très peu. Quelques documentaires sur le bareback, un seul - assez sensationnaliste - sur le chemsex pour la télé, quelques courts métrages, et c’est à peu près tout.

Le sida est-il toujours aujourd'hui "un sujet" pour le cinéma autrement qu'à travers une évocation historique comme le récent film de Robin Campillo "120 battements par minute"?

Comme je le disais, il y a cette dimension historique très présente actuellement, mais aussi des films qui prennent à bras-le-corps le sida dans ses acceptions les plus contemporaines, tels Théo et Hugo dans le même bateau et son histoire d’amour qui se finit en happy end (et c’est presque la première fois !), mais aussi un documentaire comme le très beau Vivant ! de Vincent Boujon, dans lequel cinq séropositifs se lancent ensemble dans un saut en parachute qui est une métaphore de leur saut désormais possible dans l’avenir.

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Ton ouvrage est accompagné du DVD d'un film de 1993, Zero Patience, du Canadien John Greyson. Pourquoi ce choix d’un film peu connu ?

  Je voulais un film issu de la période des “années sida” (c’est-à-dire des années 1981-1996 qui précède l’arrivée des trithérapies) et surtout un film qui corresponde à ce que j’essaie de ra-conter dans ce livre. Et Zero Patience, de ce point de vue, coche toutes les cases.

C’est un film engagé au côté des malades, un film réalisé par un cinéaste très militant, un film qui dénonce la volonté des pouvoirs publics et des médias de désigner des boucs émissaires (le fameux Pa-tient Zéro en tête), un film qui pointe la lutte contre les laboratoires pharmaceutiques et leurs pratiques, un film qui évoque très clairement les atteintes physiques de la maladie, un film qui célèbre les fantômes de la communauté, un film très libre.

Et Zero Patience est infiniment cela avec en plus une dimension queer incroyable, un ton décalé assez merveilleux qui lui permet d’être d’une légèreté intelligente de tous les instants face à un sujet dramatique. Il s’agit en ef-fet, de manière assez folle, d’une comédie musicale pop, colorée et radicale sur le sida, avec des moments d’anthologie comme un duo d’anus chantant ! Pour toutes ces raisons, et parce que c’est un vrai film de cinéma, inventif visuellement, cela m’est très vite apparu comme le choix idéal pour accompagner mon travail.

"Les années sida à l'écran" de Didier Roth-Bettoni. 25 euros. En librairie. 

Vendredi 16 juin, à partir de 19h, rencontre-dédicace avec Didier Roth-Bettoni à la librairie Les Mots à la Bouche.

Lundi 19 juin, à partir de 21h, le ciné-club LGBT Le 7e Genre organise au cinéma parisien Le Brady une projection du film Zero Patience, suivie d’une rencontre avec le réalisateur John Greyson, Didier Roth-Bettoni et l’universitaire canadien Thomas Waugh.

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