Théâtre
Pays lointain de Lagarce à Strasbourg
Clément Hervieu-Léger plonge dans l'écriture ultra contemporaine du "Pays lointain" de Jean-Luc Lagarce, à la tête d'une troupe de comédiens d'excellence au Théâtre national de Strasbourg.
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Pays lointain de Lagarce à Strasbourg
Théâtre
Mis en ligne le 27/09/2017
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Lagarce, auteur contemporain le plus joué en France, est aujourd'hui "un classique" pour Clément Hervieu-Léger, "parce qu'il nous permet de raconter notre propre génération".
"Comme Alceste ("Le Misanthrope" de Molière) ou Lucidor ("L'épreuve" de Marivaux), il "nous interroge sur nous-même: que veut dire vivre, lorsqu'on est encore jeune et que l'on sait que l'on va mourir demain?"
Jean-Luc Lagarce, mort à 38 ans du Sida en 1995, a vécu les sept dernières années de sa vie en se sachant condamné. Il écrit "Juste la fin du monde" (porté au cinéma par Xavier Dolan) et "Le pays lointain", deux pièces soeurs sur le même thème du fils qui revient auprès des siens pour leur annoncer - ou ne pas être capable de le faire - sa mort prochaine.
La famille est au coeur de son oeuvre: famille biologique qu'on a fui, famille d'élection des amants et des amis.
Sur le plateau du TNS, une petite foule de comédiens se presse dans un décor de terrain vague fermé par une palissade. Ce pourrait être une aire d'autoroute, avec sa cabine téléphonique et sa vieille bagnole au coffre béant dont on sort table et chaises de pique-nique.
Pour monter la pièce, Clément Hervieu-Léger a réuni une famille, lui aussi: la plupart des acteurs ont déjà travaillé avec sa "Compagnie des Petits Champs", fondée sur ses terres normandes en marge de son travail à la Comédie-Française à Paris.
Le comédien français Loïc Corbery, qui a été Alceste et Lucidor sous sa direction est naturellement Louis, le personnage central du "Pays lointain". Il a la beauté de l'écrivain Hervé Guibert (également mort du sida en 1991), qui hante l'oeuvre de Lagarce.
Fin de la jeunesse
Dans le décor pourri de nostalgie, les deux familles, de sang et de coeur, gravitent autour de Louis, figure belle et lâche à la fois. La famille biologique exsude l'amertume de l'abandon: Louis les a fui, n'envoyant de loin en loin que d'anonymes cartes postales. Le frère écorché vif ressent encore les blessures d'une enfance encombrée de la présence muette de cet aîné singulier.
La soeur est celle qui "n'a pas fui", qui est restée auprès de la mère, sacrifiant un avenir moins prévisible que cette vie étriquée dans une ville de province.
Le texte de Lagarce, découpé en 63 séquences brèves, déroule de nombreux monologues, portés par de magnifiques comédiens comme Audrey Bonnet (la soeur), Guillaume Ravoire (le frère), ou Nada Strancar (la mère).
Les disparus sont là aussi, repérables à leurs pieds nus: le père mort il y a longtemps, l'amant décédé il y a à peine un an.
Un garçon personnifie "tous les garçons", l'ami "de longue date" veille et protège (on pense au couple Saint Laurent/Bergé), le guerrier (Daniel San Pedro) incarne "tous les guerriers", ces garçons d'un soir qui traversent la vie de Louis en météores.
Un portrait se dessine au fil de ce patchwork, celui d'un garçon à jamais étranger, arc bouté dans sa peur de l'attachement, qui déclencherait fatalement la douleur d'aimer.
Une nostalgie poignante sourd du décor, des musiques très datées, mais le texte tranchant de Lagarce, avec ses répétitions, ses boucles musicales, reste violemment actuel.
Bien sûr, il y a des longueurs, et certains monologues accrochent moins l'attention que d'autres sur la durée - plus de 4 heures au total. Mais certaines phrases résonnent longtemps après la fin, comme "ce sentiment qu'on a obtenu les deux ou trois choses essentielles d'une vie" ou "Je songeais à cela comme à la fin de notre jeunesse".
La pièce donnée jusqu'au 13 octobre à Strasbourg sera en tournée à Albi, Quimper, Lyon (Célestins), Caen etc.
(Source AFP)