"Je partage ce que dit le géographe Christophe Guilluy dans son livre 'Le temps des gens ordinaires' sur le fait qu'à un moment, ce sont les candidats qui suivent les électeurs et pas l'inverse: ce sont les électeurs qui imposent leur agenda. Au RN, un électorat populaire s'est constitué et a imposé son agenda aux cadres qui l'ont d'ailleurs largement subi. C'est une des raisons des départs vers Zemmour. Pour certains, cette demande populaire n'est pas dans leur ADN".

"Chez Zemmour, il y a une différence entre ses cadres et ses électeurs. Les cadres, ce sont souvent les blousons dorés de la bourgeoisie, beaucoup de la Manif pour tous (contre l'ouverture du mariage aux homosexuels en 2012 et 2013), beaucoup de jeunes, les cadets souvent les plus radicalisés dans les bonnes familles. (Avec la Manif pour tous) Un groupe social s'est reconnu et constitué en génération politique, ce que (le politologue) Gaël Brustier a décrit comme une forme de mai 68 conservateur. Mais l'électorat d'Eric Zemmour n'a pas de sociologie aussi claire, c'est à la fois une réussite et une faiblesse. Il pense réunir la bourgeoisie patriote et les classes populaires avec comme lien son discours identitaire, mais c'est un lien très fragile. Quand il va être amené à parler social, il sera difficile de plaire aux uns et aux autres. C'est l'une des raisons de son léger reflux à l'automne. Tout le monde est sensible aux questions d'argent, et pour les catégories aisées, quand il y a un choix à faire entre des valeurs et sa résidence secondaire, en général elles choisissent la résidence secondaire. C'est aussi pour ça qu'il y a une course à l'échalote sur les questions de succession".

"Marine Le Pen a un électorat identifié: les travailleurs modestes du privé, employés, ouvriers ou commerçants indépendants, parfois avec un statut d'indépendant subi car ils ont perdu leur boulot. Elle incarne pour ses partisans une fonction de protection de ceux qui sont menacés par la mondialisation. La difficulté de Marine Le Pen, c'est qu'elle a du mal au premier tour à irradier au-delà de son noyau dur. Cela tient d'abord à une image de moindre crédibilité économique, pas par rapport à Eric Zemmour, qui selon les derniers sondages à une image encore plus fragile de ce point de vue, mais par rapport à la classe politique classique. Eric Zemmour, même si son identification aux élites sociales le rend plus attractif aux yeux de certains, pâtit de son côté d'un positionnement radical qui inquiète très largement les Français, ce qui obère ses chances de succès au tour décisif".

Jérôme Sainte-Marie est l'auteur de "Bloc populaire, une subversion électorale inachevée" (Cerf).

Rédaction avec AFP

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