France Culture
Quand la création raconte le sida, une série documentaire par Didier Roth-Bettoni
France Culture propose une série de 4 documentaires d'une heure chacun autour des représentations du sida dans le cadre de La Série Documentaire, qui est diffusée chaque jour de 17 à 18h. La série intitulée "Quand la création raconte le sida", est diffusée du 9 au 12 avril.
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Quand la création raconte le sida, une série documentaire par Didier Roth-Bettoni
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Mis en ligne le 04/04/2018
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Les années sida à l'écran, par Didier Roth-Bettoni
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"L'idée, c'est comment des artistes - réalisateurs, écrivains, danseurs, dramaturges, plasticiens... ont fait du sida une œuvre", résume Didier Roth-Bettoni qui est l'auteur de cette formidable série documentaire proposée par France Culture toute la semaine.
Les 4 épisodes sont successivement centrés sur le corps, l'intime, les traitements, le deuil et la mémoire.
A partir d'archives exceptionnelles de Guibert, Dustan, Jean-Luc Lagarce, Nan Goldin, Collard…, d'extraits de films et de pièces de théâtre, des musiques, des textes lus et une quinzaine d'interviews indédites réalisées pour la série (Robin Campillo, Vincent Borel, Ducastel et Martineau, Elisabeth Lebovici, Philippe Calvario, etc.), ce véritable feuilleton en 4 épisodes restitue la mémoire des années sida telles que les artistes et les créateurs l'ont saisie à l'époque et interroge de façon retrospective ce foisonement intense et souvent déchirant d'oeuvres qui constitue pour l'histoire un témoignage inestimable.
Didier-Roth Bettoni - journaliste, spécialiste du cinéma et accessoirement ancien rédacteur en chef d'Illico - est l'auteur de ce documentaire sonore passionnant réalisé par Nathalie Battus. Il nous présente cette série.
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Peut-on dire que le succès public du film de Robin Campillo sur Act Up "120 battements par minute" et l'écho de ton ouvrage "Les années sida à l'écran" ont ravivé la mémoire sur les premières années de l'épidémie de sida ? Et la série documentaire de France Culture s'inscrit-elle dans ce mouvement ?
Quelque chose s'est passé en cette année 2017, concernant la mémoire de ce que fut l'épidémie de sida il y a ving-cinq/trente ans, c'est très clair.
D'abord, il y a eu l'étonnante conjonction de travaux de diverses natures réactivant cette mémoire avec la sortie quasi simultanée et pas du tout concertée de "120 battements par minute", de l'essai d'Elisabeth Lebovici sur l'art (Ce que le sida m'a fait) et de mon livre sur le sida au cinéma (Les Années sida à l'écran), qui déjà disait quelque chose.
Et puis il y a eu l'incroyable succès du film de Robin Campillo, sa projection cannoise triomphale, sa presse dithyrambique, ses 850.000 spectateurs, et en parallèle les succès beaucoup plus modestes mais néanmoins imprévus du livre d'Elisabeth et du mien, et leurs échos dans la presse.
Tout d'un coup, ce passé enfoui, en partie refoulé, a refait surface. Et il a interrogé l'ensemble de la société. Pas seulement les LGBT, pas seulement celles et ceux qui ont vécu directement cette épidémie et s'y sont confrontés, mais l'ensemble de la société française sur le mode : "Mais on était où ? Comment a-t-on fait pour ne pas voir ce qui se passait ?" Tout d'un coup, ils ont vu, avec une sorte de culpabilité à posteriori.
C'est troublant d'ailleurs, cela dit beaucoup de choses sur la manière dont une société traite ses minorités… Mais bon… Quoi qu'il en soit, il semble que la société française soit aujourd'hui enfin prête à voir et entendre ce qu'elle ne voyait pas, ne comprenait, ce qui ne l'intéressait pas à l'époque.
Quant aux gays, ils sont à nouveau prêts à se confronter à ce moment tragique de leur histoire. Alors oui, la série de documentaires que je viens de produire pour France Culture se situe dans cette lignée, dans ce travail de remise à jour de cette histoire niée, de cette histoire invisibilisée d'une génération en grande partie disparue : militants, artistes, écrivains, cinéastes…
La série documentaire de France Culture fait le choix d'analyser comment l'art et la création ont représenté ces années sida. Pourquoi ce prisme ?
Il me semblait important de montrer que le sida non seulement a généré une nouvelle forme d'activisme dont Act Up est, en quelque sorte, l'emblème comme on le voit dans 120 BPM, mais a aussi engendré des formes artistiques spécifiques dans toutes les disciplines, des romans, des films, des chorégraphies, des installations… qui ont dû composer avec le virus, et des créateurs qui ont eu le courage inouï de faire de leur rapport très intime avec la maladie (la leur ou celle de leurs très proches) la matière même de leur œuvre.
Cela a donné un art que je dirais autofictionnel, un art du "je" sans équivalent, et des œuvres fortes, incroyablement fortes et émouvantes, mais aussi très engagées. Avec ces quatre heures de radio, je voulais évoquer ces démarches, faire entendre ces œuvres, redonner une voix aux disparus et donner la parole à celles et ceux qui continuent à faire vivre ces œuvres : les metteurs en scène qui continuent de monter les pièces de Copi, de Tony Kushner, de Derek Jarman, les danseurs qui continuent à danser les spectacles d'Alain Buffard, les écrivains qui ont survécu comme Vincent Borel ou Olivier De Vleeshouwer.
Je voulais aussi faire resurgir des noms oubliés. Car si on connaît encore un peu Hervé Guibert, si Nan Goldin ou Jean-Luc Lagarce restent des noms importants, qui se souvient aujourd'hui de Christophe Bourdin, de Mark Morrisroe, de Marlon Riggs, de tant d'autres que j'essaie d'évoquer et qui ont créé des œuvres marquantes à partir du sida ?
Comment as-tu construit cet ensemble de 4 épisodes? Et selon quelle logique? Peux-tu nous présenter ce chapîtrage ?
L'important pour moi, c'était d'essayer de balayer l'ensemble des disciplines artistiques en essayant de dégager quelques lignes-force de cet "art sida". C'est ce qui a présidé à la thématisation des quatre épisodes. Le premier est consacré à la question de l'intime, à la manière dont ces artistes ont mis en scène, dans leurs livres, leurs films, leurs tableaux… leur propre maladie.
Le second est axé sur la représentation du corps, ce corps souffrant qui est aussi un corps combattant, chez tous ces créateurs. Le troisième volet s'attache à la manière dont l'évolution des traitements a fait évoluer les œuvres elles-mêmes et les images de la maladie. Quant au dernier, il pose la question du deuil pour les survivants de cette époque, comment ils ont dû créer des œuvres à partir de ce deuil, et de la manière dont l'art porte la mémoire de l'épidémie.
Il aurait pu y avoir d'autres pistes (la sexualité notamment) mais on n'avait que 4 heures… A partir de cette organisation, j'ai fouillé dans les archives, j'ai trouvé des lectures de certains textes, des extraits de films, des musiques qui me semblaient le plus à même d'évoquer tout cela, et surtout je suis aller interroger un certai nombre de témoins et d'acteurs de cette histoire.
Des cinéastes comme Robin Campillo ou Olivier Ducastel et Jacques Martineau, des metteurs en scène comme Aurélie Van Den Daele et Bruno Geslin, des comédiens, des danseurs, des écrivains, mais aussi des journalistes comme Christophe Martet ou des historiens comme Elisabeth Lebovici ou Philippe Artières. Une quinzaine de personnes en tout. Après, le grand jeu, cela a été d'assembler tout cela, de faire dialoguer toutes ces sources pour donner un ensemble cohérent et vivant.
Parmi toutes les disciplines artistiques évoquées dans la série - littérature, cinéma, théâtre, arts plastiques, musique, danse... - y en a-t-il qui ont dominé cette représentation ?
C'est une question compliquée car elle dépend beaucoup de là où on se place. Moi, depuis des années, mon axe de travail central, c'est le cinéma, donc j'aurais tendance à pencher de ce côté-là... Mais si on regarde du côté de la littérature, on trouve Guibert ou Dustan, du côté du théâtre il y a Une visite inopportune de Copi, Angels in America et les pièces de Lagarce, en art comment négliger Keith Haring ou Mapplethorpe, en danse Bill T. Jones, Dominique Bagouët, Buffard…
Ce sont des artistes essentiels qui ont produit des œuvres majeures. Je vais quand même me risquer à répondre : c'est sans doute dans le domaine littéraire que la production a été la plus forte, parce que la littérature, comparativement au cinéma par exemple, tout le monde y a accès, c'est à la portée de tous, cela ne demande pas de gros moyens. Cela a donc donné les œuvres publiées mais aussi toute cette littérature personnelle produite par tant de malades et qui est restée inédite. C'est un continent peu exploré mais très important je crois qu'évoque Philippe Artières dans le documentaire.
Penses-tu que le regain de curiosité autour des "années sida" historiques aille au delà de l'aspect "mémoriel"? Qu'il puisse impacter la perception actuelle du VIH et sa représentation présente?
C'est tout l'enjeu. Bien sûr, c'est important de redonner corps à cette mémoire, à cette histoire. Mais si cela s'arrête là, ce sera un peu vain. Mais raconter l'histoire du sida, ça ne peut pas être un fin en soi, ce serait dire que l'épidémie est terminée.
Or on sait bien que ce n'est pas le cas. Pas en France, et encore moins ailleurs, en Afrique ou en Asie. Ce qui est important, c'est que cette prise de conscience de ce qu'a été l'épidémie permette de rediscuter du sida aujourd'hui, des questions contemporaines liées à la prévention, à l'accès aux traitements, au dépistage…
C'est d'ailleurs en partie ce qui est arrivé : suite au succès de 120 BPM, les médias ont réévoqué cette question du sida, des débats à partir du film ont eu lieu un peu partout en France dans des cinémas et des associations, des interpellations des pouvoirs publics ont pu avoir à nouveau lieu lors de grands événements, comme lors de la cérémonie des Césars…
De la même manière, on sent bien que les producteurs d'événements culturels sont en ce moment plus sensibles à l'idée de monter des spectacles, de publier des livres, d'organiser des expositions autour de cette thématique…
L'enjeu il est là. Il est à la fois de maintenir vivante la mémoire de l'épidémie, mais aussi et surtout d'en faire une mémoire vive pour interroger le présent et les problématiques liées aujourd'hui au VIH/sida.
Quand la création raconte le sida : www.franceculture.fr/emissions/series/quand-la-creation-raconte-le-sida
Episodes :
1) Dire sa vie, dire sa mort
2) Corps souffrants, corps combattants
3) Traiter les traitements
4) Hanter la forêt fantôme
La série est diffusée chaque jour sur France Culture de 17 à 18h, du 9 au 12 avril.
Elle sera disponible en podcast dès la diffusion en direct passée.
(Photo portrait Didier Roth-Bettoni :Anne Desplantez)